Henrik Lindell : un journaliste engagé

LesVeilleursEn 4e de couverture de son livre [1], Henrik Lindell se présente comme suit :
« journaliste, chef de rubrique « société » à l’hebdomadaire La Vie. D’origine suédoise, ce père de famille de 47 ans est de confession protestante. Il est chroniqueur régulier de Radio Notre Dame ».
En examinant ce livre ainsi qu’un de ses articles de La Vie [2] (qui a attiré l’attention de certains), je vais tenter de montrer comment se présente son engagement sur le thème des formes nouvelles du réengagement politique des jeunes catholiques.

Les « Veilleurs » sont, rappelons-le, de jeunes catholiques souvent étudiants qui ont donné un prolongement à la Manif pour tous et qui ont formé un groupe assez informel dont l’activité consiste à organiser des « veillées » inspirées des équivalents du scoutisme (mais aussi de la liturgie), à base de lectures, de bougies et de chants [3] et qui sont en même temps des sit-in de protestation non violente sur des lieux stratégiques, comme le manifestent les photos utilisées en couverture du livre [4].

Dès l’introduction, l’auteur souligne que « les Veilleurs illustrent mieux que n’importe quel autre mouvement la réappropriation de la politique par les catholiques. Des cathos qui n’ont plus peur de dire qui ils sont et ce qu’ils pensent. » (p.11) Leur but est, en luttant d’une manière non-violente, de « préserver les repères familiaux, sociaux et culturels menacés par les lois, l’enseignement public ou la désinformation de l’État » (p.29). Leur éthique est dite proche de celle des évangélistes, ce qui est l’affiliation de l’auteur, selon ce qu’il dit de lui sur le site de Radio Notre Dame.

Dans le récit d’une contre-manifestation menée par les « antifas », les Veilleurs se défendent d’être « fachos » mais évoquent une solidarité d’origine sociale : « de l’autre côté, il n’y avait pas de fachos. Il y avait des cathos et des jeunes Veilleurs bien élevés, fréquentant souvent les mêmes établissements que les antifas (lycées privés, prépas, Science Po) et issus des mêmes milieux privilégiés qu’eux » (p.26).

Les proximités avec d’autres catholiques sont envisagées : avec ceux de la Manif pour tous d’abord puisque c’est là l’origine de fait des Veilleurs. Mais d’autres proximités sont aussi évoquées : avec « quelques jeunes » du Printemps français [5], des « prêtres conciliaires » [6], des syndicalistes de la CFTC, des scouts, des Mères veilleuses [7].

L’auteur pense que les Veilleurs, par leur orientation, remettent en cause l’opposition gauche/droite, considérée comme « un clivage stérile ». Ce point est argumenté de la façon suivante : si la non-violence et la désobéissance civile, moyens utilisés habituellement par la gauche, sont mis à l’honneur par les Veilleurs, plus profondément, ce qui les distingue, c’est leur critique du libéralisme. En effet, pour les catholiques français, critiquer le libéralisme, « c’est toujours être de gauche, et être de gauche c’est affreux ». Les Veilleurs, eux, veulent dépasser le clivage gauche / droite en critiquant certains aspects du libéralisme, dans une logique de « décloisonnement », c’est-à-dire en refusant de mélanger tous les problèmes et en tentant de discerner dans le libéralisme ce qui est acceptable (probablement sa partie économique) et ce qui ne l’est pas (sa « perte des repères » ou son oubli des plus pauvres).

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Dans un article de La Vie (26/08/14), Henrik Lindell reprend la même question en affirmant que la politique est la nouvelle passion des jeunes catholiques.

PBN3On notera l’absence de point d’interrogation dans le titre : l’auteur argumente cette « passion », paradoxale dans la situation présente, par le fait que des universités d’été consacrées à l’engagement politique des jeunes catholiques ont connu récemment un vif succès.

Les exemples donnés sont d’orientations différentes : la plus ancienne « et la plus consensuelle » est organisée par Politique une bonne nouvelle (PBN). Ces sessions sont organisées par les jésuites du CERAS : si l’on examine les autres organisations participantes (qui sont à peu près les mêmes en 2008 et 2010) on a la liste suivante :

ListeCERAS2En 2008 il y en plus la Mission étudiante catholique de France et en 2010 le Secours Catholique.

Ce vaste éventail est le garant d’une incitation à participer à la politique dans le style du CERAS tel qu’on peut le voir par exemple dans la revue Projet : le lien avec l’Évangile ne peut être direct et c’est pourquoi on peut trouver paradoxal d’avoir mis comme image de tête de l’article la représentation de l’organisateur probablement en train de commenter un texte de la liturgie.

Les intervenants nommés sont, en plus de Christian Mellon jésuite organisateur : un député de droite [8] et un député de gauche [9], l’archevêque de Marseille [10], deux membres jésuites du Centre Sèvres [11] et un universitaire spécialiste de l’histoire de l’engagement politique des chrétiens. Avec un tel encadrement, il est fort probable que la ligne politique fixée soit celle de la doctrine sociale de l’Église dans sa version du Concile (car il y en a maintenant de nouvelles que nous verrons ensuite).

L’auteur repère d’autres sessions :

L’Université d’été de la Sainte-Baume

Cette session, pour examiner son thème « Cherchez le Royaume et sa Justice », reprend une perspective qui se veut dans la ligne de la méthode traditionnelle de l’Action catholique :
– analyse de la société («observer»)
– vision chrétienne sur cette société («juger»)
– engagement des chrétiens dans la société («agir»)
elle se décrit de la manière suivante :

« Initiée à la demande de Mgr Dominique Rey, l’Université d’été de la Sainte-Baume est organisée par l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon et les Dominicains de la province de Toulouse pour former les chrétiens à la doctrine sociale de l’Église ».

En plus de ces deux institutions, les partenaires annoncés on trouve le magazine Famille chrétienne, Liberté Politique, Mission prier pour les politiques, et l’Hôtellerie de la Sainte-Baume, lieu d’accueil tenu par les dominicains.

Cette session est organisée en outre avec le partenariat de l’EDIFA [12] ; de Économie de communion [13], de Fondation pour l’École [14], de Fondation de Service Politique [15], de Mission Prier Pour les Politiques [16], de RCF-Méditerranée.

Parmi les intervenants on repère : un syndicaliste CFTC [17], deux dominicains [18], trois « cofondateurs des Veilleurs » [19], des membres de l’équipe du diocèse de Fréjus-Toulon : un diacre [20] et une universitaire [21] ainsi que neuf autres intervenants : un professeur de droit de Genève [22], un économiste [23], le président du Conseil de surveillance de Bayard Presse [24], un allemand travaillant au Parlement européen [25], un maitre de conférences directeur du centre d’éthique à Saint-Cyr [26], un député socialiste [27], une académicienne (Sciences morales et politiques) [28], un magistrat de la cour des comptes [29], un directeur d’une société d’informatique [30].

À part un député de gauche et le vice-président des Semaines sociales, les intervenants forment un milieu homogène cohérent avec les buts de la structure organisatrice, L’Observatoire sociopolitique : à titre d’exemple prenons l’avant-propos que Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon a donné à une publication de cet institution faisant suite à un colloque sur la théorie du genre :

« L’Observatoire se propose d’analyser avec objectivité la situation propre de notre société dans différents domaines et de puiser dans l’Évangile et dans le Magistère de l’Église, les principes de réflexion, les normes de jugement et les directives d’action. Cette formation des consciences, à partir des principes intangibles et universels qui sont reçus de la Tradition de l’Église, replace l’homme dans toutes ses dimensions comme fin ultime de la vie sociale, économique et culturelle [31]. »

Nous sommes bien dans l’orbite idéologique de la Manif pour tous.

Acteurs d’Avenir

Est citée également la session organisée par l’association Acteurs d’Avenir dont le responsable est un prêtre du diocèse de Versailles, Pierre-Hervé Grosjean dont Henrik Lindell présente l’interview.

Les intervenants sont plutôt des hommes d’affaires [32], des hommes politiques [33], une cofondatrice des Veillleurs [34], un formateur de cadres [35], des communicants [36], des ecclésiastiques [37] et enfin « une altesse royale » [38].

Cette université d’été a dû refuser des inscriptions du fait de son succès. Si les habituels députés PS et UMP sont bien présents (mais un UMP n’est autre qu’Henri Guaino), nous sommes également dans l’orbite de la Manif pour tous.

En fin d’article, Henrik Lindell fait faire par divers intervenants un bilan de ces actions de formation : il en ressort que le jésuite du CERAS a bien le sentiment de ne pas s’adresser aux jeunes de la Manif pour tous, il fait intervenir ensuite la Directrice adjointe du Service national pour l’évangélisation des jeunes [39] qui souligne que les Veilleurs sont « conservateurs » en matière de mœurs mais peuvent avoir des positions de gauche dans les domaines économiques et sociaux et qu’il existe d’autres organismes qui offrent des sessions de formation l’été : « Le Secours catholique réunira 250 jeunes bénévoles à la fin du mois d’août. On en parle moins, hélas. Or, je ne suis pas sûr que ces jeunes-là se rendent à l’université de la Sainte-Baume et à Acteurs d’avenir ».

L’auteur conclut :

« Une chose est sûre : l’engagement politique des jeunes catholiques évolue. Et certains de ces jeunes font avancer la réflexion de leurs aînés, y compris à gauche. C’est le cas de l’un des fondateurs des Veilleurs, Gaultier Bès, auteur avec Marianne Durano et Axel Rokvam, d’un essai remarqué : Nos limites. Pour une écologie intégrale. »

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Que penser finalement de l’engagement réel de l’auteur : il ne cache pas (dans son livre) ses sympathies pour les veilleurs mais s’il présente deux universités issues de la Manif pour tous et une plus traditionnelle pour donner des arguments au fait que la politique est « la nouvelle passion des jeunes catholiques » il biaise son échantillon et il illustre sa thèse plutôt qu’il ne la prouve. C’est d’ailleurs ce qui a provoqué la réaction de René Poujol (ancien responsable du Pèlerin) qui réagit surtout à l’interview de l’abbé Grosjean [40] mais qui s’interroge sur son blog sur l’orientation à venir de La Vie qui publie l’interview :

« J’observe par ailleurs que cet entretien est publié dans la Vie au moment même où les éditions Salvator publient un petit livre du jésuite américain Matt Malone intitulé Catholique sans étiquette qui développe une pensée convergente avec celle de l’abbé Grosjean. Et cela, semble-t-il, sur la suggestion de journalistes de la Vie dont le directeur de la rédaction Jean-Pierre Denis préface l’ouvrage. Faut-il y voir un repositionnement de l’hebdomadaire catholique ? »

La question reste ouverte.


[1] Henrik Lindell, Les Veilleurs : enquête sur une résistance, Salvador, 2014,
[2] 26 aout 2014
[3] dont le « chant de l’espérance » qui est un chant scout.
[4] Manifestation du 31 aout 2013 au Palais-Royal pour influer sur le traitement de la QPC par le Conseil d’État portant sur la légitimité d’une clause de conscience pour les maires et adjoints qui refuseraient d’appliquer la loi sur le mariage homosexuel.
[5] Label issu aussi de la Manif pour tous et rassemblant divers groupes plus ou moins radicaux aux franges des catholiques traditionnels et de l’extrême droite.
[6] c’est-à-dire non traditionnels
[7] mouvement un peu semblable aux Veilleurs mais regroupant non pas des étudiants mais des mères de famille.
[8] Laurent Wauquiez
[9] Dominique Potier
[10] Mgr Georges Pontier dont on aura noté sa mise en garde contre le lobbying catholique qui tente de faire pression sur les évêques lors de sa conférence d’ouverture de la Conférence des évêques de France dont il est le président.
[11] dont Paul Valadier à titre de philosophe.
[12] Librairie de l’Emmanuel
[13] Mouvement proche des Focolari
[14] Fondation pour l’école, « fondé en 2007, a pour objet de susciter un renouveau éducatif en France en concourant à l’essor d’établissements scolaires libres, ne bénéficiant pas, en l’état actuel du droit, du soutien financier direct de l’Etat. »
[15] projet de fondation reconnue d’utilité publique au service de l’association précédente.
[16] Association de « soutien par la prière » des responsables politiques.
[17] Joseph Thouvenel est Vice-Président de la CFTC en charge des questions économiques et internationales, Président de l’Union départementale 75. Membre de la Commission des Sanctions de l’AMF (Autorité des Marchés Financiers
[18] Fr. Loïc-Marie LE BOT, op. . prêtre dominicain au couvent de Toulouse. Doyen de la Faculté de Droit canonique à l’ICT (Institut catholique de Toulouse) ; Fr. Romaric Morin, op. .prêtre, maître des novices . Il est responsable de la Maison saint Lazare de Marseille (Foyer des étudiants) et aumônier de district FSE.
[19] Madeleine de Jessey, Axel Rokvam, Alix de Prémare
[20] Gilles Rebêche, diacre du diocèse de Fréjus-Toulon, est responsable de la Diaconie du Var. Auteur de « Qui es-tu pour m’empêcher de mourir ? » (Éditions de l’atelier, mars 2008).
[21] Mélina Douchy-Oudot est professeur à l’Université du Sud Toulon – Var, membre du Centre de droit et de politique comparés Jean-Claude Escarras. Rédactrice pour l’OSP. Son dernier livre paru est « La réforme du mariage », Edition DMM, 2013.
[22] Nicolas Michel
[23] Marc de Basquiat, cofondateur du Mouvement Français pour un Revenu de base.
[24] Ghislain Lafont : il est également Chargé des affaires économiques de la congrégation des Augustins de l’Assomption.
[25] Tobias Teuscher il est également un des porte-parole de l’initiative citoyenne européenne « Un de nous » en Allemagne.visant à instaurer l’interdiction et la suppression du financement des activités impliquant la destruction d’embryons humains.
[26] Henri Hude, cofondateur et membre du conseil de direction de la Société internationale d’éthique militaire en Europe (EURO-ISME).
[27] Jérôme Lambert, député de Charente et Vice Président du Mouvement européen-France
[28] Chantal Delsol, est également Éditorialiste au Figaro et à Valeurs actuelles
[29] Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme-Lejeune
[30] Pierre-Yves Stucki vice-président des Semaines sociales de France, en charge de la commission Jeunesse.
[31] La théorie du Gender. Vers une nouvelle identité sexuelle ? Actes du colloque des 17 et 18 septembre 2011, Lethielleux, 2012, p.7.
[32] Henri de Castries PDG d’AXA, Gonzague de Blignières, Président Fondateur de RAISE, Denis Gancel Entrepreneur, Président Fondateur de W&Cie , François Morinière Directeur Général du groupe L’Equipe, Christian de Boisredon Entrepreneur social, conférencier et producteur; fondateur de Sparknews,
[33] Henri Guaino député UMP, François-Xavier Bellamy Maire-adjoint de Versailles, Jean-Philippe Mallé député PS, Jean-Frédéric Poisson député UMP
[34] Madeleine Bazin de Jessey (elle participe aussi à l’université de la Sainte-Baume) co-fondatrice des Veilleurs et de Sens Commun (organisation elle aussi issue de la Manif pour tous mais qui s’est greffée sur l’UMP pour y faire du lobbying).
[35] François-Daniel Migeon Fondateur du Thomas More Leadership Institute
[36] Greg Burke, Conseiller en communication au Vatican, Guillaume Tabard Rédacteur en chef et éditorialiste politique au Figaro
[37] Le cardinal Philippe Barbarin, Frère Thierry-Dominique Humbrecht OP, le Père Bruno Valentin Vicaire épiscopal du diocèse de Versailles
[38] Son Altesse Royale Maria Teresa, grande duchesse de Luxembourg : « Très engagée dans les projets humanitaires, en particulier dans le domaine de la microfinance et de la protection de l’enfance, elle viendra témoigner de son rôle essentiel au cœur du pouvoir »
[39] Nathalie Becquart, ancienne du Centre Sèvres, (sœur dans une congrégation d’inspiration ignatienne, les Xavières)
[40] Organisateur de l’université de l’Association Acteurs d’Avenir