Représenter le prophète

La réaction de beaucoup devant les réticences d’élèves à se déclarer solidaires de la minute de silence consiste simplement à dire qu’il y a encore beaucoup d’explications à donner et de cours sur la laïcité à faire. Cependant, ce n’est pas parce que des élèves n’ont pas les mots exacts pour décrire leur gêne face aux représentations du prophète qu’il ne faut pas chercher à comprendre ce qu’ils ressentent eux qui sont également le reflet de leur milieu familial. C’est aussi à nous à mieux adapter notre comportement collectif face à leur attitude.
En France, la liberté d’expression ne met juridiquement aucun obstacle à la moquerie vis-à-vis des symboles religieux. Comme la situation française est issue du long combat entre l’Église catholique et la République, la tradition de la libre-pensée a le plus souvent été anticléricale. Il n’y a pas si longtemps, on « bouffait du curé » et on imitait le cri du corbeau quand un prêtre passait en soutane. Aujourd’hui, les choses se sont calmées et se moquer du pape, des évêques, détourner des scènes de la vie du Christ ne choque plus que les catholiques intégristes, indispose tout au plus la grande masse des catholiques et laisse indifférente ceux d’origine catholique, qui forment d’ailleurs une masse bien plus importante numériquement. Sur ce terrain de la défense de la liberté de pensée, la domination culturelle est du côté des manifestants du 11 janvier comme l’a montré l’ampleur du rassemblement qui avait d’ailleurs des allures de contre-manif pour tous.
Pour ce courant qui a peut-être fait le gros des manifestants, il semble normal en France de se moquer de l’Église car elle a été certainement, et est peut-être encore dans certains milieux, une force obscurantiste. Se moquer, c’est une arme contre des personnes bien précises qui au nom de leur vision de la religion, refusent l’égalité homme/femme ou récemment, le mariage pour tous.
Mais quelle lutte est envisageable contre l’Islam en France puisque se moquer est une arme ? On peut avoir l’impression que le réflexe de la moquerie contre l’Islam s’est développé en suivant un faux parallélisme. On a estimé que puisque les croyants peuvent être moqués en France, et qu’il est politiquement utile de le faire si on est du parti de Voltaire, cette arme pouvait être pratiquée à l’encontre d’autres croyants, en particulier vis-à-vis des musulmans qui, même en France, ne respectent pas la liberté d’opinion puisqu’ils ne supportent pas la moquerie à leur égard.
C’est se tromper de combat : beaucoup de croyants musulmans français acceptent la liberté d’opinion si elle concerne la politique, mais ils sont musulmans et, selon leur sentiment général, ils pensent que l’Islam est une religion qui refuse la représentation de la divinité et de son prophète. Si on lit attentivement le Coran, on découvrira peut-être que ce n’est qu’une croyance fausse ou subalterne mais peu importe, eux le croient. Pourquoi commettre un acte (représenter le prophète) qui les agresse dans leurs convictions profondes ? Quelle est la raison politique suffisante qui pousse à s’en prendre à ces personnes précises qui nous entourent ?
C’est se tromper de combat et appliquer le réflexe anticlérical à des milieux qui ne cherchent pas à lutter contre nous. Peut-être dira-t-on, mais ils refusent le principe d’égalité des hommes et des femmes et la liberté de conscience qui sont les nôtres et il faut qu’ils les respectent. C’est confondre une lutte politique entre l’Église et la République et une acculturation qui ne peut se faire de force, en utilisant les armes de la moquerie. L’intégration se fera par l’école à la condition de lutter en même temps contre l’exclusion.
Toute communauté nationale ne peut trouver son équilibre que si elle cultive le vouloir-vivre ensemble dont une des composantes est le respect de l’autre, de celui qui vit avec nous. Ce qui est juridiquement autorisé n’est pas toujours politiquement souhaitable, au sens noble de la politique, affaire de la cité.